Interview de Miguel de Sanjuan, Directeur du développement commercial Ibéria chez VIIA au Centre logistique de Barcelone, Catalogne

Qu’est-ce qu’une autoroute ferroviaire ?

Une autoroute ferroviaire est un système de transport par le rail qui permet d’expédier des semi-remorques non accompagnées en les chargeant sur des wagons spécialement conçus à cet effet. C’est un moyen de transport intermodal qui a toujours été conçu dans le but d’éviter les obstacles naturels et de proposer des liaisons courtes (Eurotunnel, Rola, etc.), bien qu’il existe depuis longtemps d’autres points en Europe faisant appel à des technologies différentes.

La technologie employée par VIIA s’appuie sur le système Modalohr et c’est la première fois que le principe de l’autoroute ferroviaire est exporté pour être appliqué à des lignes longues distances et faire partie intégrante de la chaîne de transport internationale ; c’est là que réside la principale nouveauté.

Ce système utilise un certain type de wagon bénéficiant d’une innovation technologique qui nous permettra d’être très efficaces dans la mesure où la remorque peut être chargée sur le train non accompagnée, sans qu’il soit nécessaire d’y apporter la moindre modification et donc d’investir dans du matériel spécifique.

Et donc, pourquoi VIIA a-t-elle décidé de développer le principe de l’autoroute ferroviaire ?

La principale raison d’être de VIIA est de faciliter l’accès aux trains aux sociétés de transport routier, selon un processus simple, rentable et écologique sur le long terme. VIIA, qui est une filiale de la SNCF, est issue de Lorry-Rail qui a été la première autoroute ferroviaire longue distance lancée en 2007 dans le but de, proposer des services complémentaires aux transporteurs internationaux effectuant des liaisons entre l’Espagne et divers points de destination en Europe et de relier le terminal du Boulou, à la frontière franco-espagnole, au Luxembourg.

D’un point de vue commercial, VIIA s’inscrit dans une démarche de complémentarité du transport routier et non pas de concurrence. Nous savons que le développement du ferroutage doit se faire main dans la main et en toute collaboration avec les acteurs du transport routier, et qu’il n’est ni une solution de remplacement ni un processus concurrentiel.

De ce fait, notre système est un modèle collaboratif, nous sommes un opérateur du transport intermodal travaillant en toute objectivité pour la route et avec la route de manière à proposer un service combiné répondant aux besoins du marché.

Quels avantages l’autoroute ferroviaire apporte-t-elle au marché ?

Tenant compte du fait que les services de VIIA brisent les barrières classiques de l’accès au train, il s’agit de proposer un système rapide, flexible, économique et durable. Pour le client, le transporteur – en dehors du fait qu’il n’a pas besoin d’investir dans du matériel spécifique pour utiliser le service, ce qui est un avantage majeur – premièrement, les terminaux sont ouverts 24 heures sur 24, sept jours sur sept ; deuxièmement, la fréquence élevée des départs et des trains en circulation est garantie, ainsi, si le transporteur loupe un train, il peut charger sa remorque sur le train suivant qui part six heures plus tard ; et troisièmement, le transporteur a accès à un service client disponible 24 heures sur 24, 365 jours par an.

Le service VIIA accueille tous types de clients, de tous secteurs ; par conséquent, nous transportons, sur un seul et même train, des remorques provenant de diverses entreprises, quel que soit leur segment de marché : il peut s’agir de remorques contenant des produits destinés au marché automobile, des produits réfrigérés, des produits chimiques et autres marchandises diverses, de citernes, etc.

Quel est le principal marché de VIIA ?

Le marché est composé de transporteurs routiers qui effectuent des transports combinés longues distances. La mission de VIIA est de développer des autoroutes ferroviaires en Europe. Le marché sur lequel nous sommes le plus présent est l’Espagne car les statistiques indiquent que le pays qui enregistre le plus de camions traversant la France est l’Espagne. La volonté de la France est de réduire la pollution liée au transport et de désengorger ses axes routiers ; c’est pourquoi la solution la plus efficace est de charger les remorques dans le sud de la France, depuis notre terminal du Boulou, puis de les acheminer jusqu’à la frontière nord du pays. Bien que les clients de VIIA soient de 18 nationalités ou pays différents, 50 % d’entre eux sont Espagnols.

L’autoroute ferroviaire de VIIA, entre Le Boulou et Bettembourg au Luxembourg, a été prolongée pour offrir un nouveau service vers l’Angleterre…

Oui, à la fin du mois de mars 2016, nous avons lancé une nouvelle autoroute ferroviaire appelée VIIA BRITANICA qui relie notre terminal du Boulou au port de Calais.

La vraie particularité de ce service est que nous relions le réseau ferré au réseau maritime et que nous sommes en mesure de proposer, aux acteurs du marché, un service intégrant le train et le bateau.

Le tronçon entre Calais et Douvres est effectué grâce à des accords passés avec la société de transport maritime P&O.

Deux mois après le démarrage des opérations, qui en sont toujours à leur phase initiale, nous pouvons dire que c’est une vraie réussite car nous avons commencé avec un train par jour et nous envisageons de mettre en place un deuxième convoi quotidien pour augmenter la fréquence des navettes et répondre à la demande du marché.

L’union entre le transport maritime RO-RO et le ferroviaire, que nous avons appelée RO-RO rail, nous permet d’élargir le marché potentiel.

VIIA développe également une liaison intermodale entre la Turquie et la France pour l’opérateur Ekol

En effet, il s’agit d’un service que nous avons lancé conjointement avec Ekol et qui correspond à l’opportunité qui existe d’élargir le marché potentiel : lorsque l’autoroute de la mer rejoint l’autoroute ferroviaire, cela se transforme en une combinaison gagnante.

Grâce à ce service, les camions et les remorques arrivent par la mer, au port de Sète, où nous les chargeons sur le train en direction de la ville de Noisy-le-Sec, près de Paris.

De la même manière, certains camions d’Ekol quittent Sète à destination de notre terminal du Boulou pour être chargés sur notre autoroute ferroviaire à destination du Luxembourg ou de Calais.

En d’autres termes, vous reliez une autoroute ferroviaire à une autoroute maritime…

Nous démontrons qu’une autoroute ferroviaire et qu’une autoroute maritime peuvent mutuellement s’alimenter. De plus, pour que les opérations intermodales s’avèrent rentables, ces nouveaux volumes de 5 ou 10 % provenant du bateau ou du train, sont essentiels. Si cette union réalisée entre le train et le bateau contribue à augmenter le pourcentage de fret, la rentabilité du service intermodal devrait augmenter.

Le terminal de l’autoroute ferroviaire situé dans le port de Calais offre la possibilité de relier le réseau ferré au réseau maritime pour obtenir un service global à destination du Royaume-Uni.

Le terminal de l’autoroute ferroviaire situé dans le port de Calais offre la possibilité de relier le réseau ferré au réseau maritime pour obtenir un service global à destination du Royaume-Uni.

Le projet d’autoroute intermodale reliant Barcelone à Aulnay (Paris) a été présenté en juillet 2015. Quel est l’objectif de ce nouveau service ?

C’est principalement de répondre à la demande du marché. Nous voulons être plus près et desservir encore plus de destinations. Depuis le début des opérations, au Boulou, jusqu’à aujourd’hui, notre progression a été telle que notre terminal a atteint son point de saturation. Il était prévu, au départ, de gérer deux trains par jour, or nous en sommes, aujourd’hui, à 4 voire 6 par jour. Nous nous sommes implantés au Boulou parce qu’en 2007, lorsque nous avons lancé l’autoroute ferroviaire, nous ne pouvions pas aller, en train, au-delà du sud de la France.

Notre objectif est maintenant d’avoir un terminal de l’autoroute ferroviaire au port de Barcelone. Pour ce faire, nous avons collaboré avec les autorités locales, notamment le gouvernement régional, le port de Barcelone et la municipalité, pour construire le terminal sur l’ancien canal de la rivière Llobregat.

Ce site aura la capacité de gérer 16 trains par jour, huit départs et huit arrivées, pour rejoindre diverses destinations, la région parisienne, et par conséquent, l’Allemagne et même l’Angleterre grâce à VIIA Britanica.

Nous sommes très satisfaits des soutiens que nous avons reçus de toute part et nous allons travailler dur afin que l’autoroute ferroviaire devienne une réalité d’ici 2019-2020.

Une fois que cette autoroute ferroviaire sera opérationnelle, nous pourrons proposer une liaison maritime avec Tanger, par exemple, parce que le port de Barcelone possède déjà cette autoroute maritime.

Quels volumes avez-vous transportés, l’année dernière, sur vos autoroutes ferroviaires ?

L’année dernière, nous avons transporté 65 000 semi-remorques. Avec la nouvelle ligne ouverte sur l’Angleterre, ce nombre va augmenter. Parallèlement à cela, le taux d’occupation de nos trains atteint 95,8 à 96,2 %, selon les mois.

Nous faisons circuler, quotidiennement, des trains mesurant 750 mètres de long, certains pouvant même atteindre 850 mètres. Ce sont des convois regroupant à la fois des semi-remorques et des conteneurs pour un poids de chargement total de 2 600 tonnes. Ainsi, si nous devions accroître notre capacité de transport, nous pourrions le faire en ajoutant cette longueur supplémentaire de 100 mètres à tous les trains.

Et quels volumes espérez-vous atteindre ?

Notre objectif est de gagner 10 à 15 % du marché car, selon nos statistiques, cela correspond à la part du transfert modal que nous pouvons escompter atteindre. 10 % des 10500 camions qui traversent quotidiennement la frontière française à La Jonquera est un chiffre qui va pouvoir remplir beaucoup de trains.

L’élément clé pour faire fonctionner correctement le service opérationnel est, sans le moindre doute, la massification. De ce point de vue, comme indiqué plus haut, nous avons fait circuler des trains mixtes pendant trois ans, à savoir 4 ou 5 trains au départ du Boulou dont la moitié sont chargés de semi-remorques, de conteneurs, de citernes et de caisses mobiles. En d’autres termes, toute unité de transport pouvant être manutentionnée à l’aide d’une grue. Ainsi, le marché profite d’un service de navettes s’adaptant à tous les types d’unités de transport.

Le fait d’avoir un service au départ de Barcelone va nous permettre, avec cette même configuration de trains mixtes, d’obtenir une saturation et une fréquence de base pour à la fois conquérir des parts de marché et avoir une rentabilité opérationnelle.

Quels avantages environnementaux et économiques y-a-t-il à utiliser les autoroutes ferroviaires VIIA ?

Chaque voyage effectué sur un train VIIA économise 980 kg de CO2 comparé à un trajet identique effectué par la route. Cela représente quasiment une tonne de CO2 par jour et par camion.

D’un point de vue économique, si l’on compare les deux moyens de transport pour un trajet identique, le train pourrait s’avérer 10 à 15 % moins cher.

Notre activité est une activité dans laquelle nous transformons les coûts fixes en coûts variables et nous apportons de la valeur ajoutée à une nouvelle forme de transport des marchandises.

Interview: The main raison d’être of VIIA is to facilitate carriers’ access to trains in a simple, profitable, and ecologically sustainable way.

VIIA et Wtransnet ont lancé VIIA+, un service d’échange de fret multimodal. Quel en est l’objectif ?

En fait, c’est le PREMIER service d’échange de fret multimodal. VIIA+ est un nouvel exemple de notre volonté d’approcher le secteur et de faciliter son accès au train.

Avec Wtransnet, nous avons développé un intranet, VIIA+, afin que les utilisateurs du service d’échange de fret de Wtransnet puissent trouver des réponses à leurs besoins. Par le biais de VIIA+, lorsque le transporteur arrive au terminal pour charger la remorque sur le train, il a la possibilité de proposer son tracteur qui est désormais disponible ou chercher un nouveau transport longue distance ou obtenir un lot retour. Et la même chose se produit à l’arrivée ; la remorque est proposée à un transporteur disponible pour la tirer ou c’est le tracteur qui est proposé pour récupérer la remorque.

Quels sont les autres projets à venir pour VIIA ?

À partir de VIIA, nous travaillons dans l’optique de construire un réseau d’autoroutes ferroviaires en Europe. À l’heure actuelle, notre département projets travaille sur le développement de liaisons avec la Pologne, l’Allemagne, la Suède et l’Italie de manière à relier notre terminal d’Orbassano à celui de Calais à l’automne 2017.

Nous pensons que la demande est là. C’est pourquoi, nous avons choisi, dès le départ, de développer un service adapté par et pour la route. Nous pensons que les avantages du rail et de la route sont idéalement complémentaires et qu’ils nous permettront de répondre aux besoins du marché.